PNP: Bilan des Lâchers de Bouquetins 2014

Dimanche 22 Février 2015

Réintroduction du Bouquetin ibérique dans le Parc national des Pyrénées : où en est-on ?

Par Jean-Paul Crampe, chargé de mission réintroduction de bouquetins au Parc National des Pyrénées.

Après avoir disparu des Pyrénées françaises en 1910, le bouquetin y a fait son grand retour cet été grâce à un ambitieux programme de réintroduction élaboré et conduit par le Parc national des Pyrénées en partenariat avec les propriétaires et gestionnaires de l’espace montagnard.

Les premières actions concrètes ont été engagées sous la tutelle de la DREAL Midi-Pyrénées. Avant cela, fin avril 2014, intervenait enfin la signature des accords transfrontaliers établis par les différents ministères espagnol, andorran et français de l’Environnement sur la valorisation de la biodiversité pyrénéenne intégrant le retour du bouquetin.

Au cours des trois opérations de lâcher réalisées au cours de l’été et de l’automne 2014, neuf bouquetins le 10 juillet, trois le 19 juillet puis quatre le 10 octobre, soit un total de seize animaux, ont été libérés sur le site du Clot, dans la zone cœur du Parc national des Pyrénées sur la commune de Cauterets. Noter que le lâcher du 19 juillet a été réalisé en présence de Madame la Ministre de l’Environnement, Ségolène Royal.

Ces animaux ont été prélevés en Espagne, dans le Parc national de la sierra de Guadarrama, sur le territoire de la Communauté autonome de Madrid. Une enquête sanitaire réalisée en juin 2013 ayant démontré l’adéquation de cette population aux nécessités des protocoles sanitaires de transfert vers le territoire français. Il convient de souligner que tous les animaux transférés ont fait l’objet des nombreuses et exigeantes analyses préconisées par les services vétérinaires compétents sur le territoire français. Leur objectif : éviter impérativement de ramener dans les Pyrénées de nouvelles maladies susceptibles de se propager aux ongulés domestiques et sauvages.

 

Fig.1

 

Fig.1: Répartition par âge et sexe des 16 bouquetins lâchés dans le Parc national des Pyrénées en 2014

 

19012014

19 juillet 2014 : lâcher de 3 bouquetins en présence de Madame Ségolène Royal, Ministre de l’Environnement.

Une des clés du succès : le suivi des animaux lâchés

L’effort de suivi compte parmi les facteurs importants de la réussite de ce projet de réintroduction du bouquetin dont il constitue un élément capital d’appréciation. Des moyens humains et matériels adaptés, spécialement dédiés à cet objectif, ont donc été prévus et mis en œuvre.

Conformément au programme établi, neuf des animaux lâchés en juillet ont été équipés de colliers émetteurs VHF tandis que trois des animaux lâchés en octobre étaient équipés de colliers émetteurs GPS. En outre, des marques visuelles ont été posées sur l’ensemble des individus lâchés. On notera qu’outre leur usage facilitant la détection des animaux dans l’espace montagnard, ces colliers émetteurs permettent de contrôler la survie des individus qui les portent en émettant un signal différent s’ils sont morts.

Trois principaux objectifs de suivi ont été ciblés :

1)      S’assurer de l’installation viable d’une population de bouquetin ibérique dans la zone du Parc national des Pyrénées et assurer sa préservation.

2)      Limiter les risques de perturbation susceptibles de provoquer la dispersion ou la perte des animaux.

3)      Contribuer à la connaissance de l’espèce mais surtout exploiter au mieux l’expérience nouvelle de réintroduction dans le milieu nord-pyrénéen en vue des opérations futures.

 

Sur le plan des moyens humains, le suivi a été assuré par des montagnards confirmés, les agents des secteurs du Parc national de la vallée d’Azun, de Cauterets et de Luz-st-Sauveur en collaboration étroite avec les agents de la brigade de l’ONCFS des Hautes-Pyrénées.

Bilan des opérations de suivi

Sur les seuls mois de juillet, août, septembre et octobre 2014, 450 détections de bouquetins ont été enregistrées au cours de 71 prospections réalisées par l’ensemble des agents chargés des prospections (figure ci-dessous). Trois des individus non-équipés de colliers émetteurs du fait de leur âge et de leur taille insuffisante n’ont pu être détectés, toutefois des observations occasionnelles par des randonneurs ou des bergers ont permis de s’assurer de leur présence dans la zone de suivi.

 

 

Fig.2

Figure 2 : Bilan des détections individuelles réalisées du 10 juillet au 30 octobre 2014

Des déplacements importants mais pas faits au hasard

Depuis leur libération dans la montagne de Cauterets, en juillet dernier, les bouquetins découvrent peu à peu leur nouvel environnement pyrénéen. Comme le laissaient présager les nombreuses expériences de réintroduction du bouquetin des Alpes, les premiers mois d’acclimatation ont été caractérisés par un comportement exploratoire. Ce comportement, d’apparence parfois erratique, traduit à la fois une tentative de retrouver le pays natal et une recherche de sites présentant les préférences écologiques de l’espèce.

Comme le souligne Jean-Paul Crampe, chargé de mission au Parc national pour la réintroduction du bouquetin, les premiers mois sont cruciaux pour l’installation de la population nouvelle, les déplacements des différents individus constituent une trame spatiale sur laquelle vont peu à peu s’établir les quartiers saisonniers. En effet, au bout d’un cycle annuel complet, les zones biologiques vitales devront être adoptées, pour le déroulement du rut automnal ou pour les mise-bas printanières. Il conviendra surtout de trouver, dès les premières neiges, des zones abritées et ensoleillées  capable de protéger les nouveaux venus des rigueurs de l’hiver, les fameuses zones d’hivernage.

Sur les traces de leurs ancêtres disparus

Un premier résultat important du suivi repose sur le constat d’une préférence caractérisée pour le milieu rupestre et escarpé à l’extrême. Pour quelques individus qui ont semblé s’y stabiliser pendant quelques temps, le massif du Grand Barbat, et son extraordinaire système de falaises abruptes interdites à l’homme, présente apparemment un milieu des plus attractifs en été. L’anecdote suivante montre que ce choix fait une référence au passé des plus intéressantes: le 9 septembre l’équipe de suivi de l’ONCFS conduite par Michel Crampe observe trois des quatre femelles lâchées, rassemblées au sommet du pic de Badescure à deux pas du Grand Barbat. Elles se situaient alors exactement 150 m à l’aplomb du site où, en juillet 1987, l’œil avisé de Christian Cayrey, garde-moniteur du Parc national en vallée d’Azun, découvrait le crâne d’un énorme bouquetin mâle fossilisé par la glace que la fonte récente d’un névé permanent venait de libérer. Ne nous trompons pas, il ne s’agit pas ici d’une coïncidence extraordinaire, aucun effet du hasard dans cet évènement en apparence fortuit. Il traduit seulement et magnifiquement la justesse de choix des nouveaux venus retrouvant d’instinct le domicile estival de leur ancêtre depuis longtemps disparu.

Le premier troupeau

Le premier troupeau, telle pourrait être la légende de la photo prise le 18 septembre, toujours sur le massif du Barbat. Un mâle et trois femelles pâturent ensemble et paisiblement, ne se quittent pas d’un sabot lorsqu’ils se déplacent. Il s’agit là d’une observation très encourageante si l’on sait que trois des quatre femelles lâchées se retrouvent réunies après une longue période de prospection individuelle qui les avait maintenues dispersées jusque-là. Comment ne pas s’étonner de cette faculté à se retrouver ainsi  en quelques semaines dans ce territoire immense, totalement inconnu pour elles.

encourageante

Image encourageante : le premier « troupeau » de la nouvelle population pyrénéenne (photo : J-P Crampe)

 

Il convient de souligner ici la pénibilité et l’exigence du travail de ce suivi basé sur la réception de signaux VHF, souvent fugaces et parfois déroutants. Pour bien les capter, les agents suiveurs ont été contraints à se hisser sur les plus hauts sommets de la zone. En effet, seuls les points hauts permettaient de capter des signaux de qualité capables de renseigner valablement sur la position des animaux. Grand Barbat (2813 m), Grande Fache (3005 m) ou encore Pic de Chabarrou (2925 m), Soum d’Arcouèche (2465 m), Soum des Agudes (2732 m), mais aussi Vignemale (3298 m), furent quelques-uns des « spots » les plus rentables en termes de collecte d’azimuts de qualité. 

Des bouquetins transfrontaliers

On notera que des mouvements de plusieurs kilomètres ont été observés chez certains individus quand d’autres manifestaient déjà une forte sédentarité. Si la plupart des déplacements se sont inscrits dans un rayon de 10 km, on doit cependant signaler le record établit par un mâle de 9 ans avec 60 km déjà parcourus depuis le 10 octobre, date de son lâcher.

Il fallait bien s’y attendre un peu, la frontière franco-espagnole n’aura pas arrêté nos bouquetins explorateurs guidés par leurs autoroutes naturelles, les hautes crêtes. En visitant les abords du Pico Los Batanes et de Brazato au-dessus des Bains de Panticosa, les bouquetins lâchés à Cauterets nous rappellent à leur manière l’homogénéité orographique de ce massif granitique reconnue des géologues par le nom de massif de « Cauterets-Panticosa ». Soulignant ainsi son caractère essentiel d’entité biogéographique montagnarde indissociable, ils nous rappellent, comment ne pas l’évoquer, que cette montagne constitua pour les hommes aussi une zone d’échanges et de contacts depuis les temps les plus anciens. Ces temps au cours desquels les troupeaux montés des terres basses du Quiñon de Panticosa et de la Ribera de Saint-Savi en fréquentaient les pâturages indivis du Marcadau sous le régime pacifiant de « lies et passeries » patiemment établies. Comme à l’évidence les premiers bouquetins explorateurs nous y invitent, cette magnifique espèce pourrait bien, dans un futur proche, constituer à son tour un sujet nouveau de collaboration et d’échanges fructueux entre les deux communautés montagnardes voisines.

D’autres perspectives pour 2015

Ainsi donc, l’année 2014 restera l’année historique du retour du Bouquetin dans les Pyrénées après un long siècle d’absence. Pour autant, considérer que la réintroduction est effective et acquise aujourd’hui constituerait une grave erreur de jugement : avec seulement seize individus réintroduits dont seulement cinq femelles, la situation reste très précaire à l’approche de l’hiver qui blanchit déjà les sommets. Il est plus exact de considérer que les actions déjà réalisées constituent seulement une amorce d’un projet demandant à être poursuivi avec détermination. Les opérations à mener en 2015 revêtent donc une importance capitale car d’elles dépendront vraiment l’implantation spatiale et le « décollage » démographique espérés. Compte tenu d’un contexte politique plus serein et aussi de l’expérience acquise, il est possible désormais d’aborder les actions futures en répondant aux critères initialement prévus dans le document cadre établi par le Parc national. Les opérations de lâcher de 2015 viseront donc à atteindre un nombre minimum et une proportion des sexes en adéquation avec les préconisations du projet, soit 40 individus dont au moins 20 femelles adultes.

Sur le plan de la période, il est également prévu de répondre aux préconisations édictées qui conseillaient vivement de lâcher les femelles juste avant leur mise-bas, en avril et mai. Avec l’apport des cabris nés dans les Pyrénées et les avantages d’une  fixation spatiale des femelles liée à l’élevage des leurs tout jeunes cabris, on est en droit d’attendre une meilleure stabilisation des animaux dès les premiers mois.

Fortes de ces actions à fortes potentialités, les conditions de succès seront, n’en doutons pas, mieux assurées pour le démarrage de la jeune population.

 

silouettes

Nouvelles silhouettes sur les crêtes de la montagne de Cauterets (photo : J-P Crampe)

Date de modification : 07 juin 2023 | Date de création : 22 février 2015 | Rédaction : Jean-Paul Crampe